CHAPITRE II
La nuit, basse, grasse, sans étoiles, sans lune, s’était installée sur le jardin comme une chape de suie. L’air était moite, malsain. Les filtres qui alimentaient la maison ronronnaient doucement. Enfermé dans sa chambre, Léonard s’agitait, se raclait la gorge, tirait sur ses bretelles, buvait de temps à autre, au goulot, l’alcool d’une fiole que son médecin lui avait formellement interdit. Soudain, il se décida, descendit à la cave, tâtonna dans un réduit poussiéreux, en retira un paquet oblong soigneusement ficelé. La toile cirée dénouée, il ôta les chiffons qui conservaient à l’abri de l’humidité et de la corrosion, un antique fusil de chasse. L’arme était surannée, mais sans doute aussi efficace que ces revolvers à rayons ou à aiguilles utilisés par la police ou par les gangsters. Il vérifia l’état du canon, glissa deux cartouches dans leurs logements et revint sur ses pas. Une crampe le prit à la jambe ; il dut s’appuyer au mur pour frotter, pendant un long moment, le muscle endolori. La douleur passée, il se hâta en boitillant vers la petite porte qu’un inconnu (ou plusieurs) avait l’audace d’emprunter.
Comme il avait pris soin d’éteindre les lampes de Nux, il traversa le salon lentement, dans la pénombre, pour aller s’installer sur une bergère, disposée dans un coin. Là, il souleva le fusil, ajusta la crosse au creux de l’épaule, visa le rectangle sombre de l’entrée, caressa la détente. Après s’être exercé à plusieurs reprises, il ricana intérieurement, sûr de lui. Il n’eut pas le temps de se décrisper car un bruit rugueux se fit entendre. On eût juré que l’on déplaçait une caisse ou une grosse pierre, quelque part. Tous sens en alerte, il se raidit. Le crissement recommença, s’amplifia. Une mauvaise sueur poissa les mains et le visage du peintre qui dut sortir un mouchoir, s’en essuyer avec soin avant de se remettre en position de tir.
Un souffle puissant passa sur la bâtisse annonciateur de pluie.
« Peste ! se plaignit Léonard en lui-même. Voilà qu’arrive l’une de ces maudites tempêtes radioactives ! »
Les premières gouttes crépitèrent sur les baies de l’atelier, sur les branches des arbres. Ces gouttes, lourdes de boue, de déchets industriels, produisaient des bruits mous rappelant les « floc » que les grenouilles de jadis faisaient avec leur ventre lorsqu’elles sautaient sur une surface mouillée. Un choc visqueux, désagréable, que l’on percevait nettement entre deux roulements de tonnerre.
Incommodé par l’atmosphère électrique, Léonard pensa que le vacarme de l’averse couvrirait les froissements produits par le « visiteur », aussi fixa-t-il avec force la tache noire de la porte, les doigts tordus sur le canon de son arme. Au bout de quelques minutes de tension, des ombres glissèrent devant lui et il dut cligner des yeux, s’ébrouer pour ne pas être victime de son imagination.
Un craquement sourd secoua la maison. Il braqua le fusil avec précipitation, le tint nerveusement en l’air, prêt à lâcher le coup, puis vite fatigué, laissa le canon s’incliner de lui-même, finit par caler la crosse contre sa cuisse.
La pluie tombait maintenant avec régularité. De temps à autre, un flash lumineux tirait des formes de l’obscurité, dessinait, une fraction de seconde, les contours d’un lampadaire, d’une plante en plastoïde mou grimpant le long d’un mur comme un insecte à pattes multiples. Léonard s’efforça de contrôler sa respiration pour rester maître de ses réflexes, mais un tic nerveux déforma sa bouche. Il tapota sa joue avec son poing fermé, mais il s’interrompit car, au bruissement de l’eau se superposait, il en était certain, un crissement de pas. Les nerfs tendus à se rompre, il s’imposa un effort suprême, pointa sur la porte l’arme devenue glissante comme une anguille.
Ce n’était plus qu’une question de secondes. Dès que le battant s’ouvrirait, il ferait feu ! Cependant, il réalisa que le bruit de pas ne venait pas du dehors : quelqu’un marchait derrière lui ! Dans l’escalier, puis dans le salon… Il se tassa, interdit, souffle bloqué. Une forme le frôla, gagna à petits pas glissés l’étroit couloir. Un éclair faible la peignit d’un blanc laiteux qui l’habilla comme un fantôme ; un jet de feu explosa dans la poitrine de Léonard : c’était CATALINA. ELLE SORTAIT !
Honteux de s’être laissé envahir par la peur et la panique, confus d’avoir imaginé une odyssée sanglante, il se recroquevilla sur les coussins en considérant d’un œil stupide la silhouette furtive qui s’échappait. Il n’en revenait pas : la cachottière quittait sa chambre, la nuit, sans lui en avoir touché un mot, comme une voleuse !
Évidemment, dans le contrat de location, rien ne l’autorisait à la garder en cage, mais tout de même !
Écrasé par la surprise, l’étrange dissimulation de la nourrice apparemment si soumise et naïve, il mordilla, déconcerté, un bout de sa moustache. Par les tripes du Diable, il était nécessaire de se calmer un peu pour établir le point de la situation ! Catalina s’était engagée à l’allaiter. Elle remplissait sa fonction avec un entier dévouement, soit. Mais qu’importait ! Il avait les moyens de réduire cette petite sotte en esclavage. Il ne l’avait pas louée pour qu’elle lui cause des ennuis !
Pesamment, il se dressa, rapporta le fusil à la cave, le jeta dans le réduit sans retirer les cartouches, puis il remonta s’enfermer dans sa chambre, boudeur.
La tempête, peu à peu s’apaisa. Le calme revenu lui parut plus redoutable encore que la rumeur coléreuse de la pluie. Le silence pernicieux qui suivit lui sembla même ironique.
Dans un miroir vibrant, il considéra son visage cireux à l’expression lamentable. La peau luisante et tendue sur l’os, le teint cadavérique, les yeux rougis, larmoyants, à l’iris délavé, les lèvres affaissées, humides, il se trouva répugnant.
Affecté, il cracha sur son image triste, s’en détourna. Le lit gardait l’empreinte de son corps, creux éloquent, long travail de gisant.
— La mort, murmura-t-il, le menton relevé. La mort…
Catalina revint hanter son esprit. Catalina et son lait capable de lui redonner un peu de jeunesse, de prolonger sa vie. Catalina qu’il devait garder pour lui seul, et qui, en ce moment, donnait peut-être la substance vitale à quelqu’un d’autre ! Une bouche était certainement en train de téter ses mamelles. Une bouche autorisée à couler vers d’autres régions pour lui interdites…
Comment se laisserait-il berner par cette gamine ? Furieux, il donna du poing sur un guéridon. Une potiche oscilla, mais d’un réflexe, il l’empêcha de choir. Ensuite, il tira une chaise contre la cloison le séparant de la chambre de la nourrice et s’y installa, décidé à attendre, montre en main, le retour de l’infidèle.
Du temps passa. Il finit par s’endormir, mais un frôlement soyeux le tira de sa somnolence. Luttant contre l’engourdissement, il prêta l’oreille. Pieds nus, probablement, Catalina pénétrait dans la pièce voisine. Elle déambula dans la salle de bains attenante, actionna avec précaution des robinets, bruits intimes, émouvants… Léonard écoutait, les lèvres soudées, les mains coincées entre les cuisses. Il l’entendit s’étendre sur son lit, puis il ne perçut plus que le chuintement de sa propre respiration. Alors, à bout de forces, il quitta sa chaise, se dirigea vers la porte dont il n’eut pas le courage de franchir le seuil. Sans se dévêtir, il se laissa tomber sur sa couche tandis qu’une lueur pâle, rosâtre, s’infiltrait entre les lattes des persiennes closes. C’était l’aurore.
En fin de matinée, il se réfugia dans son atelier, mais il lui fut impossible de réussir un mélange correct de couleurs. Nerveux, il renversa un flacon d’essence de térébenthine, égara ses meilleurs pinceaux, rata une courbe délicate et s’échina en vain sur d’insignifiants détails, bâclés en quelques secondes en temps ordinaire. De guerre lasse, il rejeta ses tubes de peinture et se mit à arpenter le local comme un fauve en cage. Lorsque arriva l’heure de la tétée, il grimaça affreusement et enfonça les mains dans ses poches. Pour la première fois, il hésita à se rendre chez la nourrice qui l’accueillit avec un sourire équivoque.
Lorsqu’elle ouvrit son corsage, le ressentiment l’étouffa, la haine lui serra le ventre. Il souffrait comme un amoureux trompé. Luttant contre l’éclair douloureux de la jalousie, il ferma à demi les yeux, accapara une pointe érigée entre ses lèvres serrées. Le tétin bien enveloppé de sa langue pétulante, il tira le lait avec application. Catalina se détendit car, en se rassasiant, le vieillard paraissait s’éloigner dans un état de rêverie béate et confuse, mais, tout à coup, elle hurla de douleur : pris d’une furie incompréhensible, il griffait ses mamelons.
— Non ! rugit-elle, effarée par la rage soudaine du peintre qui meurtrissait sa poitrine comme un dément.
L’instant de surprise passé, elle réagit, lui saisit les poignets avec vigueur pour éloigner les serres qui la blessaient, labourant ses chairs de rigoles sanglantes. Elle s’aperçut alors avec horreur que l’agression était préméditée : pour la torturer ainsi, Léonard avait taillé ses ongles en pointe !
— Partez ! cria-t-elle en crispant les mâchoires de dégoût et d’indignation. Dehors !
Léonard sursauta. Impressionné par les hurlements de la nourrice, étonné par sa hardiesse et le résultat de sa méchanceté, il se recula en chancelant, comme ivre, quitta la chambre. Au milieu du couloir, il dut s’arrêter pour reprendre sa respiration ; il en profita pour essuyer sur sa chemise ses mains barbouillées de sang. Ensuite, il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule en direction de la chambre de Catalina, adressa à la porte close une grimace pleine de mépris et gravit les marches qui conduisaient au grenier.
D’ordinaire, il appréciait le contact de la rampe lisse, en bois, mais cette fois, trop bouleversé, il ne la sentit pas vraiment. Un peu égaré, il parvint dans les combles où il faisait beaucoup plus chaud que dans le reste de la maison. Les ouvertures étaient petites et le toit de verlex gardait la chaleur. Une sueur grasse couvrit instantanément son visage ; sa chemise colla à sa peau. Effleurant au passage l’épaule nue d’une Vénus de marbre, il gagna une lucarne qu’il ouvrit avec des gestes saccadés, violents. Une bouffée d’air nauséabond lui couvrit la face ; il eut l’impression de recevoir en pleine figure une couverture tiède et moisie. La pluie de la veille avait parsemé la nature de toutes sortes de déchets chimiques. Pris de nausées, il fit quelques pas en arrière, pirouetta au milieu de sa collection de statues, femmes issues de l’Antiquité, cruelles, impassibles à l’image de la bayadère qui livrait ses charmes à un inconnu. Un inconnu ? Peut-être pas ! La raison lui revint : il ouvrit un tiroir d’une commode en tira de ravissantes jumelles aux cylindres nacrés. Muni de ces lunettes, il régla un tabouret à vis à la hauteur de la fenêtre, un jour de souffrance si étroit qu’il lui était pratiquement impossible de s’y accouder. Il appuya l’un de ses avant-bras sur le rebord afin de trouver une position commode pour observer les habitants de la propriété voisine. En nage, il soufflait avec force ; les lentilles des jumelles se couvrirent de buée ; il dut les essuyer à plusieurs reprises avant de pouvoir les utiliser.
La maison d’en face présentait, avec sa véranda, ses dépendances et ses cabanons juxtaposés, un surprenant désordre de toitures et de matériaux variés. Tôles, moellons, poutres en plastion léger, pierres apparentes vraies ou fausses, enduits divers, s’unissaient en un ensemble désuet et disgracieux. Il s’énerva sur la molette de réglage des lunettes et se mit en devoir de fouiller la partie la plus reculée du domaine des Vautrin, où se dressaient, de guingois, deux bungalows de briques, flanqués de hangars sinueux, couverts de plaques goudronnées. Dans l’ombre incertaine de ces abris s’entassaient des cercueils, une centaine pour le moins. Debout, couchés, ouverts ou clos, renversés, certains paraissaient boueux, d’autres étaient crevés. Sans doute avaient-ils été récupérés, les Vautrin faisant feu de tout bois.
Il se pencha, découvrit d’autres remises pleines de coffres plus luxueux, en polaride transparent, et pour lesquels on avait manifesté davantage d’égards. Ils avaient été placés sur des tréteaux métalliques, hors d’atteinte des nappes rampantes acides.
Le peintre concentra enfin son attention sur le groupe d’hommes collés autour de l’hydropique Vilma, l’épouse d’Eusèbe : le travail achevé, elle invitait son petit monde de vautours sous la véranda, pour l’apéritif. C’est là, d’ailleurs, qu’elle trônait à longueur de journée, parmi le bric-à-brac de vaisselle et de victuailles nécessaires à la préparation des repas de six personnes.
Avec des gestes ridicules de barmaid, elle servait la traditionnelle anisette. À travers les vitres crasseuses de la baie dont la peinture verte des montants s’écaillait, Léonard la regarda s’évertuer : coincée entre les bras de son solide fauteuil, elle riait fort pour intéresser son auditoire. Le dégoût à la bouche, il refit la mise au point de ses jumelles, détailla la maritorne peinte comme une mère maquerelle, ignora Eusèbe, et s’attarda sur le visage de chaque employé.
Lequel était l’amant de Catalina ? Fernand, à la trogne rouge comme une fraise ? Felipe, ce huileux, qui avait l’air d’une brute avec ses grosses mains carrées ? Marcel, l’introverti ? Ou Joan, un étranger, incapable de traduire par des mots une pensée correcte ? Qui ? Impossible à deviner sur la mine ! Comme c’était agaçant !
La bouteille que tenait Vilma s’inclina une seconde fois sur les verres dépareillés. Ses tétasses ballonnées s’écrasaient contre le plateau de la table. De volumineuses masses molles, aussi vivantes que des oreilles… Sous la toile cirée trouée à fleurs rouges, dépassaient ses jambes boursouflées, aux mollets épais comme ceux d’un éléphant.
Les voix portaient ; de son perchoir, Léonard n’avait aucune peine à suivre la conversation brillante :
— Double dose ! Vous l’avez méritée, les gars ! La pollution nourrit davantage le fossoyeur que le froid l’hiver : une aubaine pour nous, ce ciel pourri !
Eusèbe, dont une mèche lisse, indomptable, tombait toujours sur l’œil, renchérit après sa femme :
— Les commandes pleuvent en ce moment.
— Et pour les enterrements d’aujourd’hui, enchaîna Fernand un peu ivre, nous avons placé trois polarides. On a même vendu une simple épaisseur pour un double, et…
— Ta gueule, imbécile ! trancha durement Vilma qui n’aimait guère que les ouvriers s’intéressent aux bénéfices. Quand on ignore ce que sont les frais, mon petit père, on s’occupe des veuves et non du gain. Pas vrai, Eusèbe ?
— Il y a les impôts, fit l’interpellé en écho.
— Et les soucis, ajouta Felipe, désireux, comme toujours, de demeurer dans les bonnes grâces de la patronne.
— Il ne faut pas voir que le beau côté des choses, souligna le timide Marcel.
Frêle, n’osant trop se mesurer à Fernand qui avait forte gueule, il se tassa contre Joan. Peu intéressé par ces propos, celui-ci, un peu hautain, se taisait. Soudain, un chat noir et blanc arriva. L’allure fière, les oreilles pointées, il traversait la cour lentement, un lézard émeraude, à tête jaune, remuant entre les dents. L’apercevant, Vilma claironna avec un air de triomphe :
— Magnifique prise ! Elle est aussi enragée que sa maîtresse, cette bête-là !
— Viens ici, Demi-Deuil ! l’appela Eusèbe en se tapotant les cuisses, par ici, mon beau !
Dédaigneux, le chat passa fièrement devant la véranda et alla s’installer un peu plus loin, à l’ombre d’un cercueil éventré posé contre un corbillard poussiéreux, un Baffur rouge à ailerons chromés. Là, conscient de l’intérêt qu’il soulevait, il entreprit de déchirer sa proie à coups de griffes, avant de la dévorer, maculant de sang son poitrail, ses babines et ses moustaches.
— À la vôtre ! cria Vilma en levant son verre d’anisette.
— Santé ! déclarèrent en chœur les hommes.
Ensemble, ils jetèrent la tête en arrière, firent cul sec.
— Allons, commanda Eusèbe à sa femme. Remets-nous ça, mignonne. De vraies rations, cette fois, hein !
Léonard en avait assez vu. Il s’éloigna de son poste d’observation, rangea ses jumelles, s’immobilisa longtemps parmi ses statues, ne sachant trop quoi faire.
Le soir venu, il ne put décemment pas se rendre à la tétée, aussi se posta-t-il, dévoré de curiosité, derrière la cloison, pour épier les mouvements de la nourrice, mais cette nuit-là Catalina ne quitta pas ses appartements. Sans doute ne voulait-elle pas exhiber ses blessures ! Cette piètre consolation remplit Léonard d’un lâche sentiment de victoire. Il se coucha, à la fois inquiet et soulagé par ce triomphe, avala un comprimé de somnifère qui lui procura un sommeil profond, sans rêve, mais duquel il sortit la tête lourde et le cœur battant. Il faisait grand jour. Sa première pensée le terrifia : rien ne pouvait empêcher Catalina d’alerter le N.A.D., de montrer ses blessures, de dénoncer le contrat et de s’enfuir de cette maison de fou !
Il sauta du lit, se rua dans la salle de bains, les tempes battantes, l’estomac noué, s’y lava, peigna et parfuma d’abondance. Lorsqu’il eut enfilé une chemise blanche et un pantalon crème qui lui donnaient, avec une cravate mauve, du moins le croyait-il, un peu de panache, il passa ses pantoufles et sortit. De l’index, il tambourina légèrement sur la porte de la chambre de Catalina. Le panneau s’entrouvrit de quelques centimètres. Décoiffée, en robe de chambre, la nourrice le considéra avec méfiance et dureté. Ses paupières gonflées, son air las trahissaient son agitation intérieure et un sérieux manque de sommeil. Les nerfs vibrants, Léonard baissa le front, joua tous les signes de l’accablement, adopta le ton faible de la supplication :
— Je vous dois ma vitalité présente et espère de vous ma force à venir, souffla-t-il. Montrez-vous magnanime. Je vous demande mille fois pardon.
Catalina ne broncha pas. L’œil noir, le menton immobile, elle continua de le toiser. Soudain, ses narines palpitèrent, des lueurs sauvages traversèrent ses prunelles : vivement, elle écarta les pans de sa robe de chambre, dévoila les boursouflures violettes qui striaient ses seins opulents.
Il fallait jouer serré : Léonard avala sa salive, s’efforça de produire une larme de remords devant les vilaines zébrures puis, pour faire bonne mesure, se cacha les yeux de ses poings frémissants.
— Je suis impardonnable, reconnut-il. Peut-être aurez-vous la bonté d’accepter ce petit réconfort ?
Il tira d’une poche quelques pierres précieuses, les présenta dans sa paume, passa ensuite le bras dans l’entrebâillement, déposa son cadeau sur la poitrine de Catalina.
La rusée n’esquissa pas le moindre geste, demeura magistralement indifférente. Léonard en eut le souffle coupé : il n’aurait pas cru qu’elle restât aussi maîtresse d’elle-même devant les pierres, aussi, durant quelques secondes, força-t-elle son admiration. Enfin, les lèvres de la nourrice frémirent, et le peintre sut qu’il avait gagné.
— À demain, promit-elle.
Pendant qu’elle fermait la porte et faisait jouer le verrou, il s’éloigna en se frottant les mains.